Confrontée à une attaque sans précédent, quel avenir pour l’aide publique au développement française ? (Communiqué CGT AFD /CGT Finances)
Texte publié le 30 octobre 2024.
« D’un monde meilleur on ne parle plus, tout juste sauver celui-là. » Jamais les paroles de la chanson du groupe Téléphone n’ont été aussi actuelles s’agissant de l’avenir de la planète, mais aussi de celui de l’Aide Publique au Développement (APD).
Des ONG sacrifiées, des pays pauvres délaissés
Les dernières annonces budgétaires sur le point de devenir réalité à la veille de l’adoption de la loi de Finances 2025 ont déclenché un sauve qui peut général, chacun des acteurs de cette politique publique cherchant à arracher un lambeau de la peau de chagrin qu’est devenue le budget de l’APD français. La coupe de 20% (2,3 Mds d’euros) infligée à cette dernière rebat les cartes et, dans la course engagée, les perdants sont déjà désignés : ce seront en premier les ONG et leurs projets d’éducation, de formation, de renforcement des sociétés civiles, de soutien aux femmes, de santé, dont l’enveloppe de subvention sera réduite de 30% (c’est du moins l’ampleur de la réduction annoncée pour les opérations de l’AFD en 2025).
Les partenaires de la France les plus impactés seront inévitablement les pays les moins avancés (PMA), lesquels ont le plus besoin de ces projets. Se dessine ainsi l’accélération du déplacement du centre de gravité de l’APD française, des PMA vers les pays à revenus intermédiaires (PRI) qui regroupent les grands émergents comme l’Inde, le Brésil, l’Indonésie, ainsi que les pays de l’Est de l’Europe qui à moyen terme ont vocation à rejoindre l’UE.
Ce recentrage n’est pas sans intérêt pour d’autres acteurs du développement, plus précisément pour les bénéficiaires d’une politique dite « d’influence » que sont les grands groupes industriels et de services, motivés par des retombées commerciales en participant à l’exécution de projets d’infrastructures de grande envergure financés par l’AFD et l’UE. Les moyens des opérateurs publics, les outils financiers, et les ressources budgétaires sont résolument mis au service de cet objectif devenu majeur et ouvertement assumé ; ce dernier est largement passé devant la lutte contre la pauvreté et les inégalités dans les PMA ainsi que la promotion de la gouvernance démocratique et des valeurs qui la sous-tendent. Des innovations sémantiques tel que l’ « investissement solidaire » en sont la traduction. Ce nouveau concept traduit assez l’approche business instillée dans l’APD. Le lobbying exercé depuis longtemps par le secteur privé atteint aujourd’hui son but ultime, celui de détourner l’essentiel des moyens d’une politique publique au profit de ses objectifs affairistes.
Des grandes entreprises déjà aidées
On pourrait comprendre qu’une telle démarche ait été engagée par le secteur privé français tant sa compétitivité sur les marchés extérieurs s’est érodée depuis 15 ans sans discontinuer : la France ne pèse guère plus que 5% de part de marché à l’international contre 10% encore dans les années 2010. Mais peut-on croire vraiment que les moyens modestes de l’APD (0.55% du PIB, soit un peu moins de 8 milliards d’euros) puissent redresser la compétitivité des entreprises ? Les leviers du redressement sont évidemment tout autres : investir dans la R&D, renforcer les capacités commerciales, améliorer la formation professionnelle, nouer des alliances industrielles, etc... On connait les faiblesses structurelles de nos champions.
Par ailleurs il existe déjà un dispositif d’accompagnement des entreprises à l’export avec la COFACE (assurance export), BPI International, Business France, les instruments financiers du Trésor (prêts et subventions). Ces services œuvrent depuis des années en complément des aides que l’État verse directement aux entreprises. Y adjoindre les moyens de l’APD ne peut avoir qu’un effet minime sur les performances des entreprises.
Une aide françaises ambiguë et contestable
En revanche cette tendance qui s’affirme nettement aujourd’hui aura des conséquences néfastes pour l’indépendance de cette politique publique dont l’action devient de moins en moins lisible pour les partenaires étrangers de la France. Ainsi les missions de l’AFD, le principal instrument de cette politique, souffrent déjà d’une ambiguïté, relevée par les pays partenaires comme par l’OCDE. Cette dernière dans son dernier rapport (Mai 2024) souligne que la France devra « poursuivre le déliement (…) de son APD de droit et de fait (…) en veillant à ce que l’optimisation de l’impact sur le développement demeure le principal critère des projets ». Ainsi, l’OCDE écrit en termes très diplomatiques que l’impact (le bénéfice pour les pays partenaires) n’est peut-être plus le premier objectif de l’APD. Plus loin, le même rapport fait la recommandation que la France définisse « clairement la façon dont Proparco (la filiale de financement du secteur privé des États partenaires) entend mettre en œuvre les objectifs de réduction des inégalités. » En termes toujours très diplomatiques, l’OCDE pointe le décalage entre objectifs affichés et leur réalisation effective.
En bref, le coût du choix tacite de privilégier l’ « influence » (lire l’intérêt bien compris du secteur privé) sur l’impact (le bénéfice des partenaires en termes de développement réel) est déjà perceptible en termes de réputation. Faut-il qu’à l’occasion d’une nouvelle loi de Finances, la France persévère dans une voie qui l’éloigne toujours davantage des principes qu’elle revendique et de ses objectifs (la réduction des inégalités dans le monde, vecteur de paix) et celle qui la rapproche dangereusement de pratiques qu’elle reproche par ailleurs à la Chine et à d’autres puissances jugées agressives.
Enfin, ces coupes budgétaires ont en germe une menace sur l’outil AFD, sur sa capacité à remplir ses mandats et sur ses personnels en termes d’emploi et de surcharge de travail étant donné le gel des embauches déjà annoncé.